I. La législation portant sur le refus (abandon) de l’enfant à la naissance
Aujourd’hui, le droit russe ne prévoit expressément pas la possibilité pour une femme d’accoucher de manière anonyme, sous assistance médicale et de laisser son nouveau-né aux services de l’État, semblable à ce que nous appelons en France « l’accouchement sous X ».
A partir du moment où la filiation de l’enfant a été légalement établie à l’égard de la mère, celle-ci est dans l’obligation d’assumer ses droits et devoirs parentaux (article 63 du Code de la Famille).
Différents textes prévoient toutefois les cas dans lesquels la mère ne garde pas son enfant, avec des conséquences plus au moins différentes sur le lien de filiation. Il s’agit de cas de déchéance des droits parentaux (1), de la possibilité pour la mère de laisser son enfant à l’adoption (2), du refus de fournir son identité lors de l’accouchement (3) ou de la possibilité de placer l’enfant de manière anonyme dans des institutions spécialisées (4).
1. La déchéance des droits parentaux prévue par l’article 69 du Code de la Famille
Une mère célibataire décidant de laisser l’enfant à la maternité et ne souhaitant pas le placer dans une famille d’adoption, pourra faire l’objet d’une déchéance de ses droits parentaux.
Ainsi, l’enfant sera tout d’abord placé sous la protection d’un organe de tutelle et de curatelle. Les liens légaux entre l’enfant et le parent subsisteront jusqu’à la déchéance des droits parentaux.
La déchéance des droits parentaux est prononcée par le juge :
- La déchéance des droits parentaux ne brise pas tous les liens entre l’enfant et son parent biologique : la mère biologique a des obligations financières envers l’enfant d’une part, et d’autre part les liens successoraux sont sauvegardés.
- La déchéance n’a lieu qu’au bout de 6 mois, afin de donner à la mère un délai de rétractation.
2. L’Accord pour l’adoption de l’enfant : article 129 du Code de la Famille russe
La législation russe prévoir la possibilité pour une mère célibataire qui désire abandonner l’enfant à la maternité, de rédiger une attestation d’accord en vue de l’adoption de l’enfant. Cette attestation peut être générale, et désigner toute adoption à venir de l’enfant.
Les causes de refus de l’enfant par la mère peuvent être liées à la précarité matérielle et sociale de celle-ci, une maladie sérieuse de l’enfant, une crainte de la mère liée à des événements personnels (…)
Dans ce cas de figure la mère n’est pas déchue de ses obligations et droit parentaux, mais le lien entre l’enfant et la mère disparait automatiquement à partir du moment où l’enfant est adopté ou mis sous la tutelle de l’Etat.
Ainsi, seule la déclaration qui autorise l’adoption de l’enfant, et par laquelle la mère laisse ce dernier sous la tutelle de l’Etat, ne vaut pas rupture de liens de parenté. Seule la mise sous tutelle puis l’adoption de l’enfant permettent de parvenir à ce résultat.
3. La possibilité de ne pas figurer sur l’acte de naissance de l’enfant
Deux textes traitent de la possibilité de refuser l’enfant à l’accouchement et de ne pas figurer à son registre d’état civil en tant que mère.
Il s’agit de la Loi fédérale n°143-ФЗ du 15.11.1997 « Sur les actes d’état civil » « Enregistrement de la naissance d’un enfant abandonné par la mère qui n’a pas présenté de pièce d’identité au sein de l’établissement de santé où l’accouchement a eu lieu ou celui où la mère s’est adressée après l’accouchement »
- Son article 1 dispose :
Статья 19.1. Порядок государственной регистрации рождения ребенка, оставленного матерью, не предъявившей документа, удостоверяющего ее личность, в медицинской организации, в которой происходили роды или в которую обратилась мать после родов
- Государственная регистрация рождения ребенка, оставленного матерью, не предъявившей документа, удостоверяющего ее личность, в медицинской организации, в которой происходили роды или в которую обратилась мать после родов, производится по заявлению медицинской организации, в которой находится ребенок, либо органа опеки и попечительства по месту нахождения ребенка не позднее чем через семь дней со дня его оставления матерью.
L’enregistrement de la naissance de l’enfant, abandonné par la mère qui n’a pas présenté de pièce d’identité au sein de l’établissement de santé où l’accouchement a eu lieu ou celui où la mère s’est adressée après l’accouchement, s’effectue sur déclaration de l’administration médicale dans laquelle se trouve l’enfant, ou sur déclaration des organes de tutelle et de curatelle du lieu où se trouve l’enfant, pas plus tard que 7 jours après qu’il ait été laissé par la mère.
- Одновременно с заявлением о государственной регистрации рождения ребенка, оставленного матерью, не предъявившей документа, удостоверяющего ее личность, должны быть представлены:
документ установленной формы о рождении, выданный медицинской организацией, в которой происходили роды или в которую обратилась мать после родов;
акт об оставлении ребенка, выданный медицинской организацией, в которой находится этот ребенок. Форма указанного акта утверждается федеральным органом исполнительной власти, осуществляющим функции по выработке и реализации государственной политики и нормативно-правовому регулированию в сфере здравоохранения.
(в ред. Федерального закона от 25.11.2013 N 317-ФЗ)
Les documents suivants doivent être présentés lors de cet enregistrement :
-document concernant la naissance, fourni par l’institution médicale
-l’acte d’abandon de l’enfant (voir ci-dessous)
- Сведения о фамилии, об имени и отчестве ребенка, оставленного матерью, не предъявившей документа, удостоверяющего ее личность, в медицинской организации, в которой происходили роды или в которую обратилась мать после родов, вносятся в запись акта о рождении этого ребенка по указанию органа или организации, определенных пунктом 1 настоящей статьи.
Le nom, prénom, et patronyme de l’enfant sont indiqués dans l’acte de naissance de l’enfant soit selon les indications de l’organe médical où se trouve l’enfant, soit des organes de tutelle et curatelle.
Сведения о родителях ребенка, оставленного матерью, не предъявившей документа, удостоверяющего ее личность, в медицинской организации, в которой происходили роды или в которую обратилась мать после родов, в запись акта о рождении этого ребенка не вносятся.
Les informations concernant les parents de l’enfant, abandonné par la mère et qui n’a pas fourni de pièce d’identité, ne sont pas indiqués dans l’acte de naissance de l’enfant.
Le second texte complémentaire est l’Arrêté du Ministère de la santé et du développement social de Russie n°23H en date du 25.01.2010 « Sur l’adoption de la forme de l’Acte (constat) d’abandon de l’enfant par la mère n’ayant pas présenté de pièce d’identité, au sein de l’établissement de santé où l’accouchement a eu lieu ou celui où la mère s’est adressée après accouchement »
Ce dernier texte fournit l’acte d’abandon que doit remplir la mère :
В соответствии с пунктом 2 статьи 19.1 Федерального закона от 15 ноября 1997 г. N 143-ФЗ “Об актах гражданского состояния”(…) приказываю:
Утвердить форму акта об оставлении ребенка матерью, не предъявившей документа, удостоверяющего ее личность, в медицинской организации, в которой происходили роды или в которую обратилась мать после родов, согласно приложению.
Форма
_____________________________
(наименование медицинской
организации)
_____________________________
(адрес)
Акт
об оставлении ребенка матерью, не предъявившей документа,
удостоверяющего ее личность, в медицинской организации, в которой
происходили роды или в которую обратилась мать после родов
Руководитель медицинской организации____________________________________,
фамилия, имя, отчество)
лечащий врач____________________________________________________________,
(фамилия, имя, отчество)
юрист____________________________________________________________________
(фамилия, имя, отчество)
при участии представителя органа опеки и попечительства__________________
_________________________________________________________________________
(должность, фамилия, имя, отчество)
составили настоящий акт о том, что “____” __________________ _____г.
(дата)
в__________часов_________минут в_________________________________________
(наименование медицинской организации)
гражданка, не предъявившая документ, удостоверяющий ее личность,
и сообщившая о себе следующие сведения__________________________________,
(фамилия, имя, отчество)
проживающая по адресу:_________________________________________________*,
родила ребенка (обратилась после родов с ребенком) и покинула медицинскую
организацию, оставив ребенка, не оформив согласие на усыновление
(удочерение) или заявление о присвоении ребенку фамилии, имени, отчества
и временном помещении ребенка на полное государственное обеспечение.
Сведения о ребенке:_____________пол, дата рождения: “___”______________г.
Руководитель медицинской организации_________ ____________________ ______
(подпись) (инициалы, фамилия) (дата)
Лечащий врач___________ ____________________________________ __________
(подпись) (инициалы, фамилия) (дата) (дата)
Юрист__________ ___________________________ ________
(подпись) (инициалы, фамилия) (дата)
Представитель органа опеки и попечительства_________ ____________ _______
(подпись) (инициалы (дата)
М.П. фамилия)
_____________________________
* Фамилия, имя, отчество и адрес места жительства указываются со слов гражданки.
Ce formulaire exige que le Nom et le Prénom de la mère de l’enfant y figurent. Toutefois, ne disposant d’aucune pièce d’identité, cette information peut être fausse, ou éventuellement ne pas y figurer.
Ainsi, si lors de l’accouchement, la mère ne dispose d’aucun document pouvant justifier de son identité, et refuse de garder l’enfant, le formulaire ci-dessus sera repli.
L’identité de la mère sera certes ignorée, et aucun lien de filiation ne pourra être établi entre la mère et l’enfant, et ce de manière définitive après l’écoulement d’un délai de 6 mois, pendant lesquels la mère peut toujours revenir récupérer l’enfant.
Néanmoins, cette situation implique qu’aucune consultation médicale n’ait été faite auparavant, que l’identité de la mère soit ignorée des services médicaux, et que le jour de son accouchement celle-ci refuse de procurer ses papiers, de donner son nom ou fournit un faux nom.
Cette solution semble donc réservée à des cas de grande précarité.
4. Le dépôt anonyme de l’enfant dans une « Baby-box »
Les baby box, situées à l’entrée des hôpitaux, ont été créés afin de recueillir des nouveau-nés. Ce dispositif a été mis en place en août 2011, afin de lutter contre l’infanticide et aider des familles en situation de crise.
Des baby-box expérimentales ont été placées dans certaines régions : en 4 années d’existence à travers le pays, plus de 30 enfants ont été déposés dans ces dispositifs.
En principe, douze régions en Russie doivent disposer d’une baby-box : la région de Perm, la région de Moscou (dans l’hôpital de la ville de Liubertsy, Krasnodarsky krai, Vladimir, la région de Koursk, la ville de Kirichi (région de Saint-Petersbourg), Pskov, la région de Kamchatka, la région de Kaliningrad, la région de Sverdlovsk, la région de Tioumen, la région de Stavropol.
Cette liste n’est pas exhaustive, car d’autres structures ont continué à s’établir partout en Russie.
Ce dispositif, qui a eu tendance à se développer, n’a toutefois pas encore connu de consécration légale. Un projet de loi a été déposé en 2015 à la Douma. Aucune législation connue n’a été à ce jour émise.
Les enfants abandonnés sont immédiatement pris en charge par une équipe de médecins. Ils sont ensuite placés dans des organes de tutelle et de curatelle, et leur droit à l’adoption est ouvert.
II. Le droit d’un enfant de connaitre ses origines
1.Selon le droit international et européen
Le droit d’accès de l’enfant à ses origines confronte deux intérêts qui se révèlent distincts : celui de l’enfant de connaitre son identité, et celui des géniteurs de protéger la leur.
- La Convention de l’ONU relative aux Droit de l’Enfant de 1989, dans son article 7 et 8, indique que l’enfant dispose du droit de connaitre ses parents, et de préserver son identité.
- La Convention Européenne des Droits de l’Homme est quant à elle plus axé sur la protection de la vie privée.
- Le droit de l’enfant de connaitre ses origines est examiné dans le cadre de l’article 8 de la Convention Européenne, dans sa partie concernant « la vie privée ».
- La Cour Européenne reconnait la possibilité de limiter le droit de l’enfant d’avoir accès à ses origines, si cette limitation s’accorde avec un intérêt légitime. Ainsi, la protection de l’équilibre psychologique de l’enfant ou la protection de la vie privée des géniteurs sont reconnus comme des intérêts légitimes.
De ce fait, la Cour Européenne met en balance les intérêts en cause, afin de mesurer lequel d’entre eux est prépondérant dans chaque cas.
Les Etats membres de la CEDH sont libres d’instaurer un mécanisme national régulant l’accès de l’enfant à ses origines. Néanmoins, cette régulation nationale doit prendre en compte l’équilibre des différents intérêts en jeu.
2. Selon le droit russe
Le législateur russe semble aujourd’hui plutôt indifférent aux questions de l’accès de l’enfant à ses origines. Peu de textes régisses les questions en cause.
Le droit russe ne prévoit pas de mécanismes qui permettraient à un individu d’avoir accès à ses origines si l’enfant est issu d’un don de gamètes, ou d’une procréation médicalement assistée.
Toutefois, l’article 54 point 2 du Code de la Famille prévoit que « tout enfant a le droit de (…) connaître ses parents ».
C’est dans l’esprit de cet article que le juge peut ordonner que les obligations des parents peuvent perdurer au-delà de l’adoption de l’enfant par d’autres parents.
Néanmoins, les articles 139 et 135 du Code de la Famille prévoient la possibilité de garder le secret d’une adoption. Cependant, cette option ne peut être réalisée qu’à la demande des adoptants, qui peuvent dans ce cas : changer le lieu de naissance de l’enfant, ainsi que sa date de naissance. L’article 155 du Code pénal protège cette option du secret. Ainsi, seuls les adoptants pourront décider de cacher ou de dévoiler les origines de l’enfant.
Ainsi, le droit russe ne prévoit pas la possibilité pour les parents biologiques de préserver leur identité, à moins que celle-ci n’ait jamais été dévoilée (accouchement sans pièce d’identité ou baby box).