A ce jour, le droit russe ne prévoit pas expressément la possibilité pour une femme d’accoucher sous assistance médicale de manière anonyme et de laisser son nouveau-né aux services de l’État, semblable à ce que nous appelons en France « l’accouchement sous X ».
En pratique, de telles situations se produisent fréquemment, et la législation russe en vigueur les réglemente dans une certaine mesure.
Également, la question de l’accès à ses origines souffre d’une réglementation à minima et reste essentiellement encadrée par la pratique judicaire.
Les questions du secret de la filiation ainsi que d’accès à ses origines peuvent être étudiée sous deux angles : d’un côté les situations dans lesquelles les parents biologiques peuvent bénéficier d’un secret total quant à leur filiation, de l’autre les situations dans lesquelles les services de l’état détiennent des informations quant à l’identité des parents biologiques.
- LA POSSIBILITE DE BENEFICIER D’UN SECRET TOTAL QUANT A LA FILIATION
- La possibilité de ne pas figurer sur l’acte de naissance de l’enfant
La Loi fédérale n°143 FZ[1] du 15.11.1997 sur les actes d’état civil, prévoit la possibilité de « refuser l’enfant à l’accouchement » et de ne pas être identifiée en tant que mère sur son registre d’état civil.
Article 19.1 prévoit cette possibilité ainsi que ses conséquences :
Il est en principe possible pour une mère non seulement de refuser de révéler son identité lors de l’accouchement, ou lors d’une visite médicale post-accouchement, mais également de demander à laisser son enfant aux mains de l’institution médicale qui la prend en charge.
Si la loi du 15 novembre 1997 ne formule pas expressément ce droit, elle en prévoit les conséquences.
Ainsi, l’article 19 précise la procédure d’enregistrement de l’acte de naissance d’un enfant né d’une mère ayant refusé de relever son identité :
- L’enregistrement de l’état civil de l’enfant se fait à la demande de l’institution médicale (du lieu où l’accouchement a eu lieu, ou du lieu où s’est présentée la mère après accouchement), ou de l’autorité de tutelle (du lieu où se trouve l’enfant), au plus tard dans les 7 jours après que l’enfant ait été laissé par la mère.
- Lors de l’enregistrement de l’acte de naissance de l’enfant, les documents suivants sont fournis :
-un certificat d’accouchement
-un certificat d’abandon de l’enfant (voir ci-après)
- Les nom, prénom, et patronyme de l’enfant sont indiqués dans l’acte de naissance de l’enfant selon les indications de l’institution médicale ou de l’organe de tutelle où se trouve l’enfant.
Aucune information relative aux parents de l’enfant n’est indiquée dans l’acte de naissance de l’enfant.
Le certificat d’abandon de l’enfant est prévu par arrêté n°23-H du 25 janvier 2010 du Ministère russe de la santé et du développement social,[2] et se présente sous la forme suivante :
Форма
______________________
(наименование медицинской
организации)
_____________________________
(адрес)
Акт
об оставлении ребенка матерью, не предъявившей документа,
удостоверяющего ее личность, в медицинской организации, в которой
происходили роды или в которую обратилась мать после родов
Руководитель медицинской организации____________________________________,
фамилия, имя, отчество)
лечащий врач____________________________________________________________,
(фамилия, имя, отчество)
юрист____________________________________________________________________
(фамилия, имя, отчество)
при участии представителя органа опеки и попечительства__________________
_________________________________________________________________________
(должность, фамилия, имя, отчество)
составили настоящий акт о том, что “____” __________________ _____г.
(дата)
в__________часов_________минут в_________________________________________
(наименование медицинской организации)
гражданка, не предъявившая документ, удостоверяющий ее личность,
и сообщившая о себе следующие сведения__________________________________,
(фамилия, имя, отчество)
проживающая по адресу:_________________________________________________,
родила ребенка (обратилась после родов с ребенком) и покинула медицинскую
организацию, оставив ребенка, не оформив согласие на усыновление
(удочерение) или заявление о присвоении ребенку фамилии, имени, отчества
и временном помещении ребенка на полное государственное обеспечение.
Сведения о ребенке:_____________пол, дата рождения: “___”______________г.
Руководитель медицинской организации_________ ____________________ ______
(подпись) (инициалы, фамилия) (дата)
Лечащий врач___________ ____________________________________ __________
(подпись) (инициалы, фамилия) (дата) (дата)
Юрист__________ ___________________________ ________
(подпись) (инициалы, фамилия) (дата)
Представитель органа опеки и попечительства_________ ____________ _______
(подпись) (инициалы (дата)
М.П. фамилия)
_____________________________
* Фамилия, имя, отчество и адрес места жительства указываются со слов гражданки.
La particularité de cet acte est qu’il prévoit la possibilité pour la mère d’indiquer son nom, prénom et patronyme. Toutefois, l’intéressée n’est pas dans l’obligation d’apporter la preuve de son identité.
- Le dépôt anonyme de l’enfant dans une « Baby-box »
Des Baby-box situées à l’entrée des hôpitaux, ont été créés afin de recueillir des nouveau-nés. Ce dispositif a été mis en place en août 2011.
Les enfants peuvent être déposés en toute discrétion et de manière totalement sécurisée. Ils sont immédiatement pris en charge par une équipe de médecins et sont placés auprès d’organes de tutelle.
En principe, douze régions en Russie disposent d’un tel dispositif à titre expérimental : Perm, Moscou, Krasnodar, Vladimir, Koursk, Saint-Petersbourg, Pskov, Kamchatka, Kaliningrad, Sverdlovsk, Tioumen, Stavropol.
Cette liste n’est pas exhaustive, et d’autres structures ont continué à s’établir partout en Russie.
Si en 4 ans d’existence, plus de 30 enfants ont été déposés, le dispositif reste aujourd’hui expérimental et contesté.
Le système des Baby box n’a toujours pas connu de consécration légale, et deux projets de loi ont été rejetés par la Douma en 2015 et 2018.
Dans les deux cas de figure étudiés (la possibilité de demander la rédaction d’un acte d’abandon et ne pas révéler son identité lors de l’accouchement, et le système des Baby Box), les parents (essentiellement la mère) ont nettement la possibilité de garder un parfait anonymat. Les organes administratifs ne disposent d’aucune information quant à l’identité des parents biologiques, et l’éventuel accès à ces informations par l’enfant, y compris par devant les juridictions, est en principe impossible.
Dans d’autres hypothèses, l’administration dispose d’informations relatives aux parents biologies de l’enfant. Toutefois, l’accès à ces informations n’est envisagé que de manière très exceptionnelle.
- LE POSSIBLE ACCES A L’IDENTITE DES PARENTS BIOLOGIQUES
- La déchéance des droits parentaux prévue par l’article 69 du Code de la Famille
Des parents délaissant l’enfant ou les laissant aux mains des organes de tutelle peuvent être déchus de leurs droits parentaux.
La déchéance des droits parentaux doit être prononcé par le juge et ne peut intervenir au bout d’un délai de carence de 6 mois afin de respecter un délai de réflexion imparti aux parents.
Néanmoins, la déchéance des droits parentaux ne prive pas les parents de tout lien avec l’enfant :
- Des obligations financières subsistent : les parents restent dans l’obligation de contribuer financièrement à l’entretien et à l’éducation de leur enfant
- Les droits de succession perdurent entre les parents biologiques et l’enfant, même si l’enfant a été adopté.
- L’Accord pour l’adoption de l’enfant : article 129 du Code de la Famille russe
La législation russe prévoit le droit de confier un enfant à l’adoption.
Tout parent unique, ou les deux parents (après leur accord mutuel), peuvent laisser leur enfant aux mains d’un organe de tutelle, en vue de son adoption.
Dans ce cas de figure, les parents de sont pas automatiquement déchus de leurs droits parentaux, mais tout lien entre les parents et l’enfant disparait dès le placement de l’enfant aux services de tutelle.
- La balance des différents intérêts en cause
Ainsi, qu’il s’agisse de la déchéance des droits parentaux ou la mise à l’adoption de l’enfant, la question de l’accès par l’enfant à l’identité de ses parents biologiques reste épineuse.
Entrent en conflit – d’un côté le droit de l’enfant de connaître ses origines- de l’autre le droit des parents adoptifs de préserver le secret de l’adoption – mais également le droit au secret des parents biologiques.
- Les textes
Dans une plus large mesure, le droit de connaître ses origines est entravé par la contradiction entre le droit de l’enfant de connaître ses origines – et le droit des parents biologiques à une vie privée et à la préservation de leurs données personnelles.
Le droit européen et international
Sur le plan européen et international, les différents droits mis en balance sont matérialisés par des textes :
- La Convention de l’ONU relative aux Droit de l’Enfant de 1989, qui dans son article 7 et 8, indique que l’enfant dispose du droit de connaitre ses parents, et de préserver son identité.
- La Convention Européenne des Droits de l’Homme :
- Au sein de laquelle le droit de l’enfant de connaitre ses origines est examiné dans le prisme de l’article 8 sur « la vie privée et familiale ».
- La Cour Européenne reconnait la possibilité de limiter le droit de l’enfant d’avoir accès à ses origines, si cette limitation s’accorde avec un intérêt légitime. A ce titre, la protection de l’équilibre psychologique de l’enfant ou la protection de la vie privée des géniteurs sont reconnus comme étant des intérêts légitimes.
Ainsi, les Etats membres de la CEDH sont libres d’instaurer des mesures encadrant l’accès de l’enfant à ses origines. Néanmoins, cette régulation nationale doit prendre en compte l’équilibre des différents intérêts en jeu.
Le droit russe
L’article 54 point 2 du Code de la Famille prévoit que « tout enfant a le droit de (…) connaître ses parents ».
Néanmoins la législation russe reste indifférente aux questions de l’accès de l’enfant à ses origines et de l’anonymat des parents biologiques, peu de textes régissant ces situations.
- Les principes établis par la jurisprudence actuelle
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel de la Fédération de Russie
Dans le cadre d’un contentieux lié à l’accès à leurs origines des descendants d’un adopté, le Conseil Constitutionnel de la Fédération de Russie considère qu’un simple désir, le besoin spirituel et éthique d’une personne de découvrir ses origines ne peut suffire à dévoiler le secret de sa filiation, puisque : « l’intérêt des descendants d’un enfant adopté n’est pas le seul intérêt en cause, et sa mise en avant peut dérégler la balance de tous les droits et obligations en cause, dans le système complexe de relations juridiques que représente une adoption »[3].
En pratique, il n’existe pas, en jurisprudence, de décisions portant sur un contentieux entre l’adopté et les parents adoptifs, puisque le secret de l’adoption garanti par l’article 139 du Code de la famille de la Fédération de Russie peut être divulgué avec le consentement des parents adoptifs.
La question se pose toutefois au décès de l’adopté et des adoptants lorsque les descendants de l’adopté cherchent à accéder à leurs origines.
Dans une décision du 16 juin 2015, le Conseil Constitutionnel de la fédération de Russie a statué sur la conformité à la Constitution de l’article 47 de la loi fédérale “sur les actes d’état civil” [4]. Il a estimé que l’article 139 du Code de la Famille russe et l’article 47 de la loi fédérale “sur les actes d’état civil” n’empêche pas les descendants de l’adopté d’accéder à leurs origines, après décès de l’adopté et des parents adoptants, dans le cadre de l’exercice de leurs droits constitutionnels.
Ainsi, le Conseil Constitutionnel encadre la possibilité d’accès à ses origines :
- aux situations dans lesquelles l’exercice d’un droit constitutionnel est en cause
- à la condition d’une décision de justice autorisant l’accès à ces informations.
En l’occurrence, il s’agit de situations dans lesquelles les intéressés ont besoin d’accéder à leur passé biologique, en cas de risque ou de diagnostic de maladies héréditaires, ou afin de prévenir un mariage entre proches et le risque de consanguinité.
La jurisprudence de la Cour suprême
Une jurisprudence récente s’est prononcée sur la question de l’accès par un enfant adopté aux informations relatives à sa mère biologique.
En l’espèce, il convient de noter que cette demande intervenait dans le cadre de l’exercice par l’enfant de son droit à l’information et à la santé, dans le but de recevoir un traitement médical adéquat. Malgré le consentement des parents adoptifs à divulguer le secret de l’adoption, l’administration a refusé la demande. Les tribunaux de première instance, d’appel et de cassation ont confirmé la décision administrative, refusant également l’accès aux informations concernant la mère biologique de l’enfant en cause.
Cependant, le 23 août 2018, la Cour suprême de la Fédération de Russie a accueilli le pourvoi en cassation du requérant, renvoyant l’affaire à un nouveau procès.
Au vu de l’absence d’une position claire de la CEDH sur cette question, ainsi que d’une lacune caractérisée dans la législation nationale pertinente, la Cour suprême de la Fédération de Russie aurait pu rejeter la demande de l’enfant adopté aux motifs que sans législation pertinente, il n’existe aucun instrument de protection de ses droits. Les informations concernant la mère biologique étant considérées comme des données personnelles, il peut être considéré qu’il n’est pas possible – en l’état de la législation actuelle – de les divulguer sans son consentement.
Toutefois, contre toute attente, la Cour suprême a procédé différemment. En renvoyant l’affaire à un nouveau procès, elle a, en accord avec la décision du Conseil Constitutionnel du 16 juillet 2015, corrélé des droits concurrents et, pour la première fois, reconnu la possibilité pour un enfant adopté d’obtenir des informations sur son parent biologique si cela présentait un intérêt significatif.
En somme, la législation russe actuelle ne prévoit pas un droit d’accès à ses origines pour un enfant adopté.
À ce jour, la pratique judiciaire repose sur le consensus suivant : l’accès de l’enfant à ses origines n’est possible que si cela présente un « intérêt significatif » (par exemple, divulguer l’histoire génétique de la famille et identifier les liens biologiques nécessaires pour identifier (diagnostiquer) les maladies héréditaires, prévenir les mariages avec des parents proches, etc.). En l’absence d’un « intérêt significatif » toute demande d’accès à ses origines sera à priori refusée.
[1] Loi sur « l’enregistrement de la naissance d’un enfant abandonné par la mère qui n’a pas présenté de pièce d’identité au sein de l’établissement de santé où l’accouchement a eu lieu ou celui où la mère s’est adressée après l’accouchement »
[2] Arrêté « sur l’adoption de la forme de l’Acte (constat) d’abandon de l’enfant par la mère n’ayant pas présenté de pièce d’identité, au sein de l’établissement de santé où l’accouchement a eu lieu ou celui où la mère s’est adressée après accouchement »
[3] “интерес потомков усыновленного в раскрытии этой тайны – не единственный подлежащий защите интерес, а его особая, преимущественная защита могла бы создать предпосылки для нарушения баланса прав и обязанностей всех участников сложной системы правоотношений, сопровождающих процедуру усыновления”.
[4] décision GF. Grubich et TG Gushchina N 15-P ( Г.Ф. Грубич и Т.Г. Гущинa от 16 июня 2015 г. N 15-П )