Si vous avez des ascendants français et que vous cherchez à acquérir ou prouver votre nationalité par filiation, vous devez d’abord savoir si vous n’avez pas perdu le bénéfice de la nationalité française par désuétude.
La perte de la nationalité française par désuétude (ou non-usage) est une sanction, prévue par l’article 30-3 du code civil.
Il s’agit plus exactement de la perte du droit d’apporter devant les tribunaux compétents, la preuve de sa nationalité française, en sanction du non-usage de celle-ci. Cette sanction s’applique à la personne qui revendique la nationalité française par filiation lorsque :
- celle-ci n’a pas résidé ou ne réside pas habituellement en France, et que ses ascendants dont elle tient par filiation la nationalité, n’ont pas résidé habituellement en France pendant plus d’un demi-siècle ;
- si elle-même et celui de ses ascendants qui ont été susceptibles de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français pour venir faire exception.
La perte de la nationalité française par désuétude doit être constatée par un jugement (art. 23-6 du code civil).
- À noter que le délai cinquantenaire s’apprécie en la personne de l’ascendant du requérant, à la date depuis laquelle cet ascendant réside à l’étranger.
- L’article 30-3 du code civil inclue tous les ascendants et non pas seulement la première génération de ceux-ci.
- La présomption de perte de la nationalité par désuétude est irréfragable. Aucune élément ne peut donc en apporter la preuve contraire et permettre de régulariser la situation (Cour de cassation, 1re civ. 13 juin 2019).
Ces règles semblent toutefois pouvoir être nuancées lorsque la résidence hors de France a été contrainte et indépendante de la volonté du requérant ou de son ascendant.
C’est ce que nous pouvons comprendre de la récente décision du Tribunal de grande instance de Paris du 4 septembre 2019.
Madame P., est née en République socialiste soviétique d’Arménie. Elle n’a jamais résidé en France et ne possède pas la nationalité française. Elle fait valoir qu’elle est française par sa mère, Madame D.P, cette dernière étant née en France et ayant acquis la nationalité française.
Madame D.P, la mère de la requérante a en effet acquis la nationalité française en 1935. En 1936, à l’âge d’un an, elle a quitté la France avec sa famille pour être rapatriée en Arménie. Elle n’est, jusqu’à son décès en 1990, jamais revenue vivre en France – soit une période de plus de 50 ans sans résidence habituelle sur le sol français.
Les juges du tribunal de grande instance de Paris ont toutefois choisi de replacer les faits dans leur contexte. Il apparaît ainsi que la famille a fui l’Arménie pour se réfugier en France en 1915, lors du génocide perpétré contre les Arméniens de l’Empire ottoman. En 1936, lors de l’intégration d’une partie du territoire de l’Arménie à la République socialiste soviétique d’Arménie, une vague de rapatriements vers ce territoire a été organisée par les autorités soviétiques : c’est dans ce cadre que la famille a été rapatriée.
Madame D.P a ensuite formulé plusieurs demandes auprès de l’Ambassade de France à Moscou pour pouvoir retourner en France – demandes qui lui ont été refusées, du fait du contexte politique.
Le tribunal décide alors que la demanderesse, Madame P, est bien française par filiation, motivant sa décision comme suit :
« Alors que Madame D.P a émis à plusieurs reprises la volonté de venir résider en France, elle en a été empêchée par les autorités et la situation politique de son pays.
N’ayant pas pu disposer de la liberté de circuler et d’installer sa résidence en France, du fait de la situation politique de l’Arménie, alors qu’elle en manifestait la volonté, il ne peut être opposé de désuétude en regard de la situation de Madame D.P, cet éloignement lui ayant été imposé.
Partant, la condition de résidence n’ayant pu être exercée librement par sa mère, la désuétude ne peut être retenue à l’encontre de Madame P. »