Nous allons parler aujourd’hui de « relations familiales et des règles de droit applicables dans le cadre de situations transfrontières plus ou moins complexes ».
Dans cette salle, plusieurs intérêts tout à fait divers sont représentés : jeunes, moins jeunes, célibataires, mariés, divorcés, remarié, veufs…autant d’exemples qui amènent à une multitude de questions dont celles, notamment, listées à l’écran :
- je suis français(e) et j’envisage de me marier avec un(e) russe et de vivre en Russie – ou en dehors de la Russie suite à notre mariage, ai-je intérêt à conclure un contrat de mariage ?
- je suis français(e) et marié(e) avec un(e) russe, notre couple va mal, dois-je saisir le juge français ou le juge russe pour statuer sur notre divorce ?
- nous sommes un couple de français, vivons en Russie, notre couple va mal et madame menace de repartir en France avec les enfants
- je suis français, vis et travaille en France et je ne vois plus mon enfant que ma femme ou ex-femme russe a emmené avec elle en Russie il y a un an
- nous avons vécu en Russie cinq ans, y avons acquis un bien immobilier, sommes revenus en France, notre divorce est en cours et il faut partager le bien immobilier situé à Moscou
- nous sommes français, vivons en Russie et souhaiterions anticiper la transmission de notre patrimoine à nos enfants
- nous sommes français, vivons en Russie ou en France, et souhaiterions conclure une convention de mère porteuse avec une femme russe ou adopter un enfant en Russie…
Dans les consultations que vous avez prises en entrant dans la salle, vous trouverez de nombreuses réponses écrites à ces questions. Cela ne fait néanmoins jamais de mal d’entendre ces informations de vive voix d’autant plus que la matière est ardue.
Nous avons DONC bien là des situations familiales très différentes qui peuvent TOUTES (c’est leur point commun) un jour ou l’autre déboucher sur un « conflit » familial (conflit dans le sens de volontés opposées pas forcément de crise). Alors effectivement le conflit est souvent inévitable, le but étant alors de faire en sorte qu’il ne dégénère pas en véritable drame (avec absence totale de communication, enlèvement d’enfant, violences physiques…). Heureusement la GRANDE MAJORITE des conflits peut être bien appréhendée et gérée, dès lors que l’on connaît ses droits et ses obligations. Or dans un contexte « international », une bonne connaissance de ces droits et obligations est très difficile puisque de nombreuses lois peuvent entrer en jeu et tout autant de pratiques judiciaires et administratives différentes. On parle « de l’imbroglio juridique des familles vivant à l’international » pour désigner justement cette complexification du droit de la famille lorsque des éléments impliquant plusieurs pays sont en jeu (nationalités, lieu de résidence des parents et enfants, localisation des biens immobiliers dans plusieurs pays…). C’est tout l’objet de ces séminaires. Décortiquer juridiquement ces relations et vous donner des pistes de réflexion voire d’ores et déjà certaines solutions.
1/ Le premier point à retenir est qu’une relation familiale impliquant deux ou plusieurs pays nécessite OBLIGATOIREMENT de se poser la question suivante : quelle loi est applicable à la question que je me pose (divorce, garde parentale, héritage…) ? et indirectement quel juge serait compétent pour décider de la réponse à ma question si une procédure devait naître ?
Souvent, on ne sait pas ou simplement on oublie que la présence d’une nationalité étrangère impose de se poser ces questions préalables à la gestion du conflit. Dans ce cas, il faudra alors plusieurs années à travers un combat judiciaire lourd pour y répondre car des juges de différents pays pourront être saisis en parallèle de procédures identiques et rendre ainsi des décisions contradictoires (exemples des procédures de garde parentale entre la France et la Russie). Or au sein d’une même famille il faut bien arriver à une solution harmonieuse malgré la présence de frontières et de législations diverses : on ne peut pas être marié dans un pays et divorcé dans un autre, on ne peut pas devoir 500 euros de pension alimentaire selon un jugement français et 1000 euros selon un jugement russe…cela arrive trop souvent, il faut l’éviter au maximum.
Un exemple très concret :
Madame est russe, monsieur est français, ils sont mariés, deux enfants, ils vivent en Russie, ils ne s’entendent plus, pas d’accord possible sur leur séparation : monsieur saisit le juge russe d’une demande en divorce et quelques jours après madame dépose la même demande devant le juge français. Que se passe-t-il ? on est en présence d’une « course au juge ». Monsieur a été informé qu’il avait tout intérêt à saisir le juge russe car il n’existe pas de notion de « prestation compensatoire » comme en droit français qui pourrait être allouée à madame pour compenser la disparité de niveaux de vie des époux suite au divorce. Dès lors que le juge russe a été légalement saisi, le juge français devra se dessaisir du divorce au profit du juge russe car selon le droit français il y est obligé (ce n’est pas le cas des législations du monde entier). Monsieur a gagné sa course au juge…madame sait qu’elle ne pourra obtenir du juge russe de prestation compensatoire. Sachant cela, elle acceptera peut-être de reprendre les négociations pour arriver à un accord amiable plutôt que de se faire du mal pendant 2 à 5 ans de procédure judiciaire. Si les choses avaient été sues dès le début, les époux auraient peut-être pu éviter des frais d’avocat pour une saisine inutile des deux juges.
Ce premier point et cet exemple pour que vous reteniez ceci : dès lors qu’au moins deux nationalités ou deux pays sont en présence dans une relation familiale, les juges et les lois de ces deux pays peuvent potentiellement être compétents.
Chaque national a tendance à penser que sa propre loi ou son propre juge doit forcément être compétent ou s’appliquer et le protègera mieux (ce qui est faux, on vient de le voir en ce qui concernant la prestation compensatoire). Ce que l’on entend régulièrement : « de toute manière j’aurais la garde principale des enfants, j’ai droit à la moitié de tous nos biens et j’aurais une rente mensuelle à vie au titre de la prestation compensatoire ! » Ce genre de phrases n’aide évidemment pas à la conciliation, d’autant plus que la personne qui l’affirme n’est souvent pas certaine de l’obtenir, c’est plus une menace pour se protéger face à l’incertitude d’une situation.
Si on sait en amont ce qui est autorisé et accordé par chacune des législations concernées et quel juge on a le droit de saisir, alors on réduit les incompréhensions et on peut apaiser le conflit, voire même arriver à un accord amiable (que vous le sachiez dans la majeure partie des cas, on arrive à un accord et fort heureusement). Il faut donc toujours en amont, pour n’importe quelle question que l’on se pose, vérifier quel juge a-t-on le droit de saisir et quelle loi sera appliquée par ce juge ?
Autre phrase que l’on entend souvent : on s’est mariés en France donc on doit divorcer devant le juge français. C’est faux. Comment doit-on s’interroger ? nous sommes de nationalités différentes, nous nous sommes mariés en France, nous vivons en Russie, quel juge peut-on saisir pour notre divorce ? le juge français ou le juge russe ? quel est le critère légal donnant compétence au juge du divorce français ou russe ? voilà la bonne manière de se poser les questions. En matière de divorce, dans la quasi-totalité des pays, c’est le critère de la résidence habituelle qui compte. Vous résidez en Russie, vous divorcez en Russie même si vous vous êtes mariés en France.
Vous ne saurez peut-être pas vous-même trouver le bon juge ou la loi applicable à vos questions, mais au moins vous commencez à résoudre le conflit de la bonne façon, ce qui vous permettra d’en sortir plus facilement.
Une fois qu’on a cela en tête, on peut aborder les questions de fond (contrat de mariage, vie familiale, séparation).
Suite au prochain épisode !