Le 18 juin 2019, dans un très important arrêt USHAKOV c/ Russie, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné pour la première fois la Russie sur le fondement de l’article 8 de la Convention EDH, pour mauvaise application de la convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.
En l’espèce, deux ressortissants russes, Vladimir Nikolayevich Ushakov (le requérant), et Madame I.K, ont résidé à Vantaa (Finlande) durant de nombreuses années. Le couple était marié avec un enfant, V, né en 2012.
À l’issue d’une procédure de divorce en 2013, le tribunal finlandais a accordé aux parents la garde conjointe de l’enfant. La résidence de l’enfant a été fixée auprès du requérant.
La cour d’appel d’Helsinki et la Cour suprême ont débouté Madame IK de ses recours.
En février 2015, avant que la Cour suprême ne rende son arrêt, Madame I.K. a emmené sans retour l’enfant en Russie sans le consentement du père, M. Ushakov.
M. Ushakov a alors initié une demande de retour sur le fondement de la Convention de La Haye de 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.
Le tribunal de Saint-Pétersbourg a jugé que V. n’avait pas sa résidence habituelle en Finlande, que son déplacement hors de Finlande et son non-retour de Russie n’étaient pas illicites au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye et que l’état de santé de V. relevait de l’exception au retour immédiat prévue à l’article 13 b) de la Convention de La Haye.
Débouté de son pourvoi en Cassation devant la Cour Suprême de St Pétersbourg, M. Ushakov a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Dans son arrêt du 18 juin la Cour Européenne a conclu que l’interprétation et l’application des dispositions de la Convention de La Haye par la Cour d’appel de Saint-Pétersbourg n’avaient pas assuré les garanties de l’article 8 de la Convention – l’Etat défendeur, la Russie, ayant manqué aux obligations positives que cet article lui imposait afin de garantir au requérant le respect de sa vie familiale.
La Russie a dont été condamnée à 16 250 EUR pour préjudice moral, ainsi qu’à 6 800 EUR pour frais et dépens.
Voici les éléments qui peuvent être retenus de cet arrêt :
- La Cour Européenne a observé que le déplacement et le non-retour de l’enfant en Russie avaient eu lieu à l’insu du père et sans son consentement, ce qui violait ses droits. Ainsi, ces éléments factuels, non contestés par les parties, auraient dû être suffisants pour que la Russie conclue que le déplacement de l’enfant en Finlande avait été illicite au sens de la Convention de la Haye. Or, ces éléments n’ont pas suffi au juge national du retour pour prononcer l’enlèvement.
- La Cour Européenne a également relevé qu’il appartenait à la mère de l’enfant, qui s’opposait à son retour, d’alléguer les risques spécifiques encourus au titre de l’article 13 b) de la Convention de la Haye (article prévoyant des exceptions au retour de l’enfant). Cet article n’est pas restrictif quant à la nature du « risque grave » qui pourrait être encouru par l’enfant (pouvant englober un dommage physique ou psychologique, mais aussi une situation intolérable). Pour autant, lu à la lumière de l’article 8 de la Convention EDH, l’article 13 de la convention de la Haye ne peut être invoqué lorsqu’il s’agit par exemple de la seule séparation avec le parent responsable de l’enlèvement. De fait, l’exception au retour ne peut concerner que des situations qui vont au-delà de ce qu’un enfant peut raisonnablement supporter.
Notons que la Russie avait déjà été condamnée par la CEDH dans une affaire d’enlèvement d’enfants, dans sa décision du 11 décembre 2014, Hromadka et Hromadkova c. Russie. Dans cet arrêt, la CEDH avait estimé qu’un cadre juridique « nécessaire pour garantir une réaction rapide à un enlèvement international d’enfant » n’avait pas été mis en place. La Russie avait ainsi « manqué à son obligation positive découlant de l’article 8 » de la CEDH.
Cependant, dans cet arrêt, la Convention de la Haye de 1980 sur l’enlèvement n’entrait pas en ligne de jeu – le déplacement illicite de l’enfant ayant eu lieu avant son entrée en vigueur entre la République tchèque et la Fédération de Russie.
En résumé, dans l’attente que la pratique judiciaire russe ne soit mise en conformité avec les exigences de la Cour européenne, l’arrêt du 18 juin représente un espoir pour de nombreux parents victimes de kidnapping en Russie.