La CEDH et la réserve héréditaire : un précédent juridique dans l'affaire Jarre c. France

Le 15 février 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu une décision
significative dans l’affaire Jarre c. France (Requête n° 14157/18), qui a traité de la question
de la réserve héréditaire en droit international. Cette décision clôture une saga judiciaire de 15 ans concernant la succession du célèbre compositeur Maurice Jarre, mettant
en lumière les complexités du droit successoral dans un contexte international.

Contexte de l’affaire

Maurice Jarre, célèbre compositeur français, avait organisé sa succession à travers divers
instruments juridiques, notamment un trust californien et une société civile immobilière (SCI)
en France. À son décès en 2009, il avait légué la majorité de ses biens à son épouse, laissant
ses enfants dans une position défavorable, selon eux, par rapport à leurs droits successoraux
en France, pays reconnaissant la réserve héréditaire.

La procédure judiciaire en France

Les enfants de Maurice Jarre ont entamé une procédure en France pour revendiquer une part
de la succession, invoquant différents moyens tels que la fraude à la loi et l’exception d’ordre
public. Nonobstant, la Cour de cassation a rejeté leurs revendications, estimant que la loi
californienne, qui ne prévoit pas de réserve héréditaire, était applicable aux biens meubles, y
compris les droits d’auteur et les parts sociales de la SCI.

Décision de la CEDH

La CEDH a été saisie pour examiner si l’exclusion des enfants de la succession violait leurs
droits au respect de leurs biens, tel que garanti par l’article 1 du Protocole n°1 de la
Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a conclu que la loi californienne,
applicable en vertu des règles de conflit de lois, était justifiée et que les actions des
juridictions françaises n’avaient pas imposé une charge disproportionnée aux enfants Jarre.

Principaux arguments et conclusions de la CEDH

1. Droit de prélèvement compensatoire : La CEDH a rejeté les arguments relatifs à un
droit de prélèvement  compensatoire sur la masse successorale située en France,
affirmant que l’abrogation de cette disposition législative par le Conseil
constitutionnel français (à effet immédiat) ne créait pas une violation des droits des
enfants Jarre.
2. Violation de l’article 6 § 1 : Concernant le droit à un procès équitable, la Cour a jugé
que les enfants Jarre n’avaient pas subi d’atteinte à la sécurité juridique qui justifierait
une violation de cet article.
3. Ordre public international : La CEDH a confirmé que l’absence de réserve
héréditaire dans la loi californienne n’était pas en soi contraire à l’ordre public international français, en particulier compte tenu de la situation économique non précaire des enfants.

Impact et perspective

La décision de la CEDH marque un point de référence important pour la jurisprudence
européenne concernant les successions internationales, clarifiant que la protection de la
réserve héréditaire n’est pas un principe absolument garanti par la Convention européenne des
droits de l’homme. Cette solution démontre le caractère définitif du choix de la loi applicable
et des instruments de planification successorale dans un contexte international.

En définitive, l’affaire Jarre c. France s’érige en précédent significatif dans le domaine des
successions internationales, pointant que les droits des héritiers doivent aussi bien s’équilibrer
par les mécanismes d’ordre public international que les règles de conflit de lois.